Le Plan
Afin de déterminer les actions nécessaires pour assurer la survie des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, une série de parties prenantes se sont réunies pour un atelier à Monrovia, au Liberia. Les participants comprenaient des représentants des gouvernements des huit pays de l’aire de répartition du chimpanzé occidental, des organisations non gouvernementales de conservation, des organisations de la société civile, des institutions de recherche et des bailleurs de fonds. Ce document présente les résultats et les propositions de l’atelier, constituant un appel collectif à une action concrète pour la sauvegarde des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest.
Résumé Exécutif
En 2016, l’UICN a requalifié le statut de conservation du chimpanzé d’Afrique de l’Ouest, Pan troglodytes verus, qui est passé de la catégorie « en danger » à la catégorie « en danger critique d’extinction », reflétant ainsi la situation désastreuse de cette sous-espèce. Le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest est présent en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Liberia, au Mali, au Sénégal et en Sierra Leone mais a disparu dans trois pays – au Bénin, au Burkina Faso et au Togo. Parmi les quatre sous-espèces reconnues de chimpanzés, Pan troglodytes verus est la plus menacée. Selon les estimations, la population a diminué de 80% entre 1990 et 2014 et compte désormais 52.800 individus environ. L’aire de distribution des quatre sous-espèces de chimpanzés a été réduite de 20% en huit ans seulement, une contraction en grande partie liée à la disparition des milieux naturels, au braconnage et aux maladies.
Près de 10% de l’aire de présence actuelle du chimpanzé d’Afrique de l’Ouest est déjà destiné à de grands projets d’infrastructures. Nombreuses dans cet habitat sont aussi les terres ciblées par les industries extractives ou adaptées aux plantations agricoles. Seuls 17% des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest vivent dans des aires protégées, ce qui laisse 83% de leur population sans protection formelle. Cette sous-espèce vit dans une région où la croissance démographique est forte. Sa conservation est exposée à de potentiels conflits d’intérêt avec les projets de développement de petite ou de grande envergure. Selon les prévisions, l’Afrique de l’Ouest devrait enregistrer l’une des plus fortes croissances mondiales en termes de développement urbain et industriel. L’habitat des chimpanzés va se réduire davantage avec une prévision de perte forestière annuelle à hauteur de 20% d’ici 2030 et de plus de 60% d’ici 2050. D’ores et déjà, près de 40% des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest vivent dans un rayon de 5 km d’une installation humaine et près de 60% dans un rayon de 5 km d’une route. Compte tenu du schéma de disparition des chimpanzés, il est urgent d’atténuer, de réduire ou d’éliminer les menaces actuelles et de tirer parti des opportunités de conservation quand elles se présentent.
Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest sont sur la voie de l’extinction si des mesures drastiques ne sont pas immédiatement adoptées. Ce plan présente le statut de conservation de P. t. verus et les menaces sur cette sous-espèce, sur la base d’une évaluation par des experts des meilleures informations scientifiques disponibles. Grâce à de nouvelles données, nous connaissons mieux la distribution et la situation de cette sous-espèce depuis la publication en 2003 du premier plan d’action. Une analyse des menaces met en évidence la nécessité de trouver des réponses à ces menaces et à leurs facteurs. Spécifiquement, la disparition de l’habitat et le braconnage ont été identifiés comme étant les menaces les plus importantes sur les chimpanzés, suivis par l’exploitation minière industrielle et artisanale, les maladies, les interactions négatives entre les êtres humains et les chimpanzés, l’agriculture industrielle et les projets routiers. De multiples facteurs indirects affectent aussi les chimpanzés dans la région : la faiblesse de la gouvernance environnementale (en particulier le non-respect des lois et une gouvernance inadéquate des industries), des incohérences dans la législation d’un pays à l’autre, le manque de ressources financières et logistiques pour la conservation des chimpanzés et l’absence de prise en compte des chimpanzés dans la planification de l’utilisation des terres.
Vision & Champ d’application
Ce plan définit les actions, les méthodes et les indicateurs et identifie les exécutants pour atteindre les objectifs de chaque stratégie, dans le but de concrétiser une vision collective:
Un paysage connecté où les chimpanzés de l’Afrique de l’ouest et leurs habitats sont valorisés, protégés et prospères; et où on assure une coexistence mutuellement bénéfique pour les générations actuelles et futures de chimpanzés et d’humains.
Le champ d’application du plan d’action est défini comme étant l’aire de répartition géographique du chimpanzé d’Afrique de l’Ouest, s’étendant sur une superficie d’environ 523.000 km2. Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest sont aujourd’hui présents dans huit pays ouest-africains : la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Sénégal et la Sierra Leone.
Stratégies
Les parties prenantes ont identifié les neuf stratégies suivantes qui englobent les efforts nécessaires à la conservation des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest dans toute leur aire de répartition:
Ce plan d’action montre comment les parties prenantes peuvent harmoniser leurs efforts et souligne le rôle critique de la coordination régionale et des approches inter- et multidisciplinaires pour la conservation du chimpanzé d’Afrique de l’Ouest. Enfin, ce plan se veut dynamique; il est intégré dans un cadre de suivi et d’évaluation qui assure la pertinence des priorités et des stratégies et la mise à jour des objectifs et des informations au fur et à mesure de l’évolution des pressions anthropiques et écologiques en Afrique de l’Ouest.
Mise en place de mécanismes de coordination régionale:
Pour faire appliquer correctement les lois sur la faune sauvage, une bonne coordination entre les acteurs internationaux, nationaux et locaux est nécessaire. Ce plan d’action souligne les mesures de renforcement des capacités des autorités pour faire appliquer les lois nationales, identifier les itinéraires de trafic et coordonner les opérations internationales d’application des lois. Cette section souligne aussi le rôle vital des membres de la Pan African Sanctuary Alliance et des sanctuaires affiliés pour faciliter les saisies, garantir le placement et les soins adéquats des chimpanzés détenus et commercialisés de manière illégale et sensibiliser le public aux lois de protection et de conservation des chimpanzés.
Surveillance et gestion de l’éclosion de maladies:
Cette stratégie décrit une approche « One Health » de suivi et de gestion des maladies qui peuvent affecter les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest. Le postulat d’One Health est que les êtres humains, la faune et la flore sauvages et l’environnement forment un écosystème interdépendant qui doit être considéré dans son ensemble. Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest vivent en majeure partie dans des paysages altérés par les humains et sont ainsi sensibles, non seulement aux maladies infectieuses émergentes, mais aussi aux agents pathogènes d’origine humaine. Ces risques sous-tendent la logique de l’approche One Health et la surveillance des maladies pour une meilleure gestion de la conservation. One Health demande des efforts collaboratifs entre les professions médicales de différentes disciplines et institutions – au niveau local, national, et international – pour atteindre une situation sanitaire optimale pour les personnes, les animaux domestiques, les animaux sauvages, les plantes et notre environnement.
Planification de l’utilisation des terres:
Alors que l’habitat des chimpanzés disparaît en faveur de projets de développement et d’autres utilisations des terres, la planification intégrée de l’utilisation des terres (LUP) devient essentielle car il est difficile de réhabiliter et de repeupler les zones touchées. Par ailleurs, les interactions négatives entre les êtres humains et les chimpanzés augmentent. Jusqu’à présent, les chimpanzés ont été rarement pris en compte par les planificateurs, que ce soit au niveau théorique ou pratique. Le recoupement entre l’habitat des chimpanzés et les corridors proposés de développement alerte sur les impacts importants potentiels sur leurs populations : 10% des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest vivent dans un rayon de 25 km de l’un des quatre corridors proposés. Cette stratégie souligne la valeur essentielle de la LUP à différentes échelles et inclut des actions de prévention ou d’atténuation des impacts du développement et de la conversion des terres sur les chimpanzés grâce à une planification efficace.
Maintien, renforcement et établissement d’aires protégées:
Les aires protégées sont essentielles pour la conservation des chimpanzés et de leurs habitats. Malgré la désignation de plusieurs parcs nationaux ces dernières années, 17% seulement de la population de la sous-espèce vit dans des zones protégées. Historiquement, les aires protégées de l’Afrique de l’Ouest ont été des îlots de protection - avec plus ou moins de succès – de la biodiversité contre la destruction de l’habitat. Cette stratégie porte sur la nécessité de maintenir, de renforcer et d’élargir les réseaux d’aires protégées pour la préservation des chimpanzés, d’autres éléments de la biodiversité et des services environnementaux critiques.
Sensibilisation:
Malgré un grand intérêt mondial pour les chimpanzés, la connaissance sur les problèmes qui pèsent sur leur conservation est limitée parmi plusieurs groupes importants de parties prenantes, y compris les gouvernements des pays qui abritent la sous-espèce, les communautés locales, le milieu industriel et les autorités douanières et frontalières. Cette stratégie présente des actions de sensibilisation sur le chimpanzé comme espèce protégée, sur les impacts du braconnage et du trafic illégal, sur les interactions négatives entre les êtres humains et les chimpanzés et sur l’importance du maintien de la diversité culturelle et génétique des chimpanzés.
Financement de la conservation:
Cette section examine les mécanismes de financement des efforts de conservation, en mettant l’accent sur la création de fonds fiduciaires et sur une meilleure harmonisation des efforts pour maximiser le financement. Les actions incluent l’appui technique, logistique et financier aux agences environnementales et aux aires protégées des pays concernés, ainsi que le renforcement des capacités et le développement professionnel dans différents secteurs, dont l’enseignement supérieur, dans les pays de présence du chimpanzé d’Afrique de l’Ouest.
Élimination des lacunes en matière de recherches et de données
Des informations précises, détaillées et actualisées sur le statut, la distribution et l’évolution des populations de la sous-espèce sont requises pour orienter des activités efficaces de conservation. Cette stratégie définit les efforts nécessaires pour améliorer la connaissance sur la distribution des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, pour établir les bases de référence sur leur diversité génétique et culturelle, pour augmenter l’efficacité des mesures de conservation et pour mieux cerner le commerce illégal de chimpanzés.
Élaboration de politiques et examen du cadre juridique:
Des législations et des politiques adéquates sont nécessaires pour l’application des lois, les EIES et une réglementation appropriée du secteur privé et d’autres activités ayant des impacts négatifs potentiels sur les chimpanzés et sur leurs habitats. Cette stratégie porte sur les étapes essentielles d’examen du contenu, des incohérences et des lacunes des textes légaux afin de fournir des recommandations pour une réforme juridique efficace.